
Toujours là où on ne l’attend pas, le chanteur Vincent Niclo est venu présenter son dernier album dans les locaux de Musicor disques à Montréal. Dans Opéra celte, l’artiste propose des versions respectueuses de chansons celtes célèbres, tout en y ajoutant de magnifiques élans lyriques. Le ténor y chante en anglais, en français, en breton et en gaélique.
Sur Amazing Grace, Vincent Niclo ajoute à la partition originale des notes féériques toutes personnelles, notamment à la fin. On retrouve d’autres classiques celtes comme Heartland, Borders of Salt, Tri Martolo («Trois marins» en breton), ou Fils de Lorient, dans la même veine.
Le français a même osé s’attaquer à l’hymne breton Bro gozh ma zadou («Vieux pays de mes pères»), avec brio.
Vincent Niclo s’est entouré d’artistes bretons dont l’auteur-compositeur-interprète de Quimper Dan Ar Braz ou encore le groupe lorientais de rock celte Soldat Louis. Sur l’ensemble du disque, le groupe quimpérois Bagad Kemper vient apporter une force et une sonorité toute particulière avec ses percussions, caisses claires, bombardes et cornemuses.
Mais la plus grande surprise est la version opéra-rap de La tribu de Dana, duo entre Vincent Niclo et Martial Tricoche, le chanteur original. En 1998, le groupe français Manau avait écoulé 1,7 million de singles. La chanson fête ses 25 ans. Manau sortira un nouvel et 11e album à l’automne 2023.
Entrevue avec Vincent Niclo et Martial Tricoche du groupe Manau
Les deux artistes, souriants et bienveillants, nous ont accordé un long échange. Extraits.
Comment êtes-vous arrivé dans le monde de la musique et du chant ?
Vincent Niclo (VN) – Je suis tombé dedans quand j’étais petit, car mon père est chanteur-musicien. Quand j’étais «haut comme trois pommes», je répétais avec lui. Il m’a appris à chanter à l’âge de 5 ans et j’ai toujours chanté depuis, pour finalement en faire mon métier. J’ai commencé à apprendre le solfège, pas très marrant pour un enfant, à l’âge de 6 ans. Mon père m’a dit : «Tu ne peux pas chanter ou faire de la musique sans connaître la base». Il voulait que je sache lire une partition. Et cela m’a toujours aidé, notamment quand j’ai évolué dans des comédies musicales où on nous donnait les partitions, ou lorsque j’ai travaillé avec Michel Legrand [musicien, arrangeur et compositeur français]. J’ai toujours aimé les troupes, et pour moi quand je fais un album c’est un travail d’équipe, cela vient de mon autre passion pour le sport. [Vincent Niclo s’est fait connaître du grand public en 2003 en interprétant Rhett Butler dans la comédie musicale Autant en emporte le vent]. Je me suis dirigé vers la comédie musicale pour réaliser un fantasme personnel. J’ai passé énormément de castings pour me préparer, car il faut y apprendre à capter l’attention dans les 20 premières secondes.
Martial Tricoche du groupe Manau (MT) – Pour moi, c’est un accident. J’écrivais du rap «de gamins» avec des amis les samedis soir, entre nous, à Villetaneuse [France, 93, Seine–Saint-Denis]. Puis je me suis intéressé à la culture celtique. Mes textes ont changé à ce moment-là. Les cités sont devenues des châteaux, les ronds-points des plaines, mes potes des guerriers. Le génie de mon ami Cédric [Soubiron] qui m’a suivi musicalement, a fait le reste. Alors que d’autres samplaient du jazz, du funk, lui a samplé des cornemuses, des accordéons, de la musique celtique. Et un jour, il a apporté le semple de la fameuse Tribu de Dana. J’ai écrit les paroles dessus.


Martial, La tribu de Dana passait il y a 25 ans en boucle sur les radios françaises. Le titre est encore dans toutes les playlists de fêtes, et plusieurs générations connaissent les paroles. Es-tu toujours fier ou lassé ?
MT – Un énorme succès. Cela a été dur de rebondir après. Dès qu’on écrivait un nouveau morceau, on nous demandait La tribu de Dana. Il y a eu un moment de flottement pendant trois ans, on ne pouvait rien faire d’autre. J’ai eu peur. Aujourd’hui, c’est surtout du bonheur, car le titre est devenu ce que l’on appelle un gold, un vrai morceau vintage, que tout le monde connaît. En concert après trois notes, je ne chante pratiquement plus.
Dans votre duo, sur La tribu de Dana, on reconnait bien la chanson. Les vibes opératiques de Vincent apportent une nouveauté, et vos voix se retrouvent sur quelques magnifiques notes lors du refrain. Vincent [Niclo] semble chanter plus aigu sur ce titre ?
VN – Au départ, avant de lui soumettre le projet, j’ai travaillé dans mon coin, dans mon studio. J’ai pris sa voix sur YouTube et je me suis adapté à sa tonalité. Il m’a fallu apporter quelque chose de nouveau en respectant le titre original. Comme un Tetris, tout doit être à la bonne place. On garde nos espaces et on se rejoint aussi. On a beaucoup travaillé pour faire un vrai duo.
MT – Quand Vincent m’a contacté, j’étais un peu sur la défensive, car car j’ai souvent refusé des reprises de La tribu de Dana. Mais quand j’ai reçu sa proposition, j’ai été agréablement surpris. Je trouvai que cela sonnait bien, avec un vrai apport artistique, sans dénaturer le morceau. J’ai vu les autres titres que Vincent faisait avec Dan Ar Braz, Soldat Louis et Bagad Kemper, et cela m’a tout de suite plus.
Bon, Martial, maintenant tu peux l’avouer. Qui est cette Dana ?
MT – [rires] Je me suis inspiré des Tuatha dé Danann, des tribus irlandaises. Bien sûr que c’est une vraie déesse [rires], c’est la fille du dieu Dagda.
Pour cet «Opéra celtique», Vincent, vous vous êtes entouré d’artistes bretons comme Dan Ar Braz, Soldat Louis et Bagad Kemper, et avez enregistré dans leur région… Pour ne pas vous prendre une volée de critiques ?
VN – Nous avons enregistré dans la salle Dan Ar Braz, à Quimper, les cornemuses, bombardes, percussions et caisses claires. Inviter des artistes bretons, c’était plus pour me rassurer, savoir si j’étais dans la bonne direction et cohérent avec leur univers. Une fois qu’ils m’ont rejoint, nous avions fait un pas, car il fallait que l’album soit compris par celles et ceux qui aiment la musique celtique et bretonne.
MT – Vincent a d’abord eu beaucoup de respect.
Vincent, tu as proposé cet opéra en France, en Alsace, dans des églises, en récital. Un challenge difficile, dans des environnements sonores qui ne laissent pas la place à la moindre erreur ?
VN – À la base, l’idée ne vient pas de moi. J’ai réfléchi, car il a fallu réarranger tous les morceaux. Des versions épurées, avec juste un piano, un violon et un violoncelle.
Encore une fois, Vincent, tu vas au-delà de ton univers ..
VN – Je suis toujours en quête de découvertes et de faire découvrir. C’est comme cela que je me suis formé. La musique est fédératrice et il n’y a pas de frontières. J’ai passé deux mois cet hiver au Québec [au sein du spectacle Noël tradition en chanson] et j’adore être ici, j’adore les gens.

Lilian Largier | Journaliste
Homme curieux, Lilian est passionné par le jazz et la musique francophone. Il aime les belles rencontres humaines, découvrir d’autres univers et la musique du monde. Il apprécie aussi le cinéma francophone, les expositions et les spectacles d’humour. Il est actuellement journaliste pigiste professionnel, mais étudie également en cours du soir au certificat en journalisme à l’Université de Montréal. Photographe amateur à ses heures.