
Tire le coyote sort aujourd’hui son nouvel album Au premier tour de l’évidence et nous embarque dans son univers folk poétique et touchant.
L’auteur-compositeur-interprète Benoit Pinette s’est ressourcé en Mauricie, pour nous livrer, apaisé, ce dernier opus. Humble, bienveillant et sans filtre, il nous a accordé un long échange.
Son dernier coffret Désherbage, album folk de l’année au gala de l’ADISQ, datait de 2018 et contenait le bouleversant titre Le ciel est Backorder. L’artiste originaire de Sherbrooke et Limoilou avait depuis sorti début 2021 un recueil de poèmes La mémoire est une corde de bois d’allumage aux éditions La Peuplade, qui avait reçu un très bel accueil des critiques littéraires comme du public. Toujours en 2021, avec Jeannot Bournival, un EP de 6 titres Le temps des autres avait vu le jour, projet piano-voix minimaliste de reprises, notamment de Francine Raymond.
Benoit Pinette nous prend par la main et nous guide cette fois plus loin dans son univers, posant sur ses textes ciselés et sensibles sa voix haute perchée si particulière, accompagnée par une musique folk subtilement dosée, composée de sons de guitare, piano et parfois de chœurs féminins ou de trompette.
La première surprise est l’ouverture par Mes yeux affichent complet avec la voix envoûtante de la poétesse innue Joséphine Bacon. Le temps s’arrête un moment, bouleversant.
On retrouve d’ailleurs ce thème du temps qui passe sur Sillonner la lenteur, qui nous parle de nos sociétés modernes anxiogènes. Autre surprise, la pièce musicale À fleur de peau, avec des sons de synthétiseurs pour un résultat entre musique électronique rétro et relaxante.
Mathilde, déjà accessible, évoque une personne tétanisée par la peur et qui tente de «donner au futur la présomption d’innocence», de trouver des solutions.
L’écrivain Robert Lalonde a participé aux paroles de Nous brulons jusqu’aux Os, chantée en duo avec Katie Moore. Pour Au premier tour de l’existence, Benoit Pinette aborde son thème favori, l’amour, qui reste «le principal remède à la bêtise humaine».
Le reste de l’album est de la même veine, intense. La poésie de Tire le Coyote est sensible, puissante. Il nous parle du temps qui passe, de la beauté de la nature, de la transmission. Des textes recherchés tout en restant accessibles, où tout n’est pas dit, laissant libre cours à notre imaginaire. Il y a chez lui de la mélancolie, mais toujours de l’optimisme et de l’espoir. Cet album ne pourra pas vous laisser indifférent.
Suite aux annonces récentes sur la réouverture des salles de spectacle, la tournée à travers tout le Québec aura lieu du 3 mars au 30 septembre 2022 : www.tirelecoyote.com.
Rencontre avec un artiste hors du temps et des modes, et pourtant si bien ancré dans le présent.

Vous avez écrit et composé ce nouvel album à Saint-Élie-de-Caxton en Mauricie. Est-ce que cela vous a pris du temps, et comment l’avez-vous conçu ?
Tout le processus de création et d’écriture de l’album a été fait à Saint-Élie où j’ai une maison. L’enregistrement a été fait aussi là-bas, car j’ai coréalisé l’album avec Jeannot Bournival qui y demeure et a son studio dans le village. Souvent j’accumulais les chansons sur une longue période et une fois que j’en avais assez, je m’en allais en studio pour faire un album. Cette fois-ci j’ai condensé le processus d’écriture sur 9 mois, de janvier à septembre 2021, et enregistré tout de suite après au début de l’automne.
Mes yeux affichent complet, texte récité par la poétesse autochtone innue Joséphine Bacon qui ouvre l’album, est un beau cadeau. Comment est née cette chanson ?
Même si Joséphine Bacon n’est pas dans le domaine de la musique et de la chanson, elle est d’une grande influence au niveau spirituel, par sa vision du monde, sa grande résilience, de son rapport aussi à l’existence en soi, au temps, au passé. Elle me touche profondément. Quand Joséphine parle, tout le monde s’arrête et l’écoute, c’est assez incroyable. J’ai écrit ce petit texte en ayant Joséphine en tête, en pensant à sa grande sagesse, son pouvoir d’évocation lorsqu’elle récite. Je lui ai envoyé le poème et elle a tout de suite accepté, j’étais très content. Dès qu’elle s’est approprié le texte, il me restait juste à mettre quelques notes dessus.
Elle a une grande capacité à transformer certaines blessures en lumière. C’est un exemple de résilience et un grand pouvoir qu’on peut avoir sur soi-même en étant en contact avec ce que l’on est réellement. C’est ce qui m’inspire. Comme elle, j’ai toujours été fasciné par le temps, par les traces du passé, l’aspect générationnel, l’héritage qu’on laisse, etc. Il y a toujours eu cela dans mon écriture. Quand je lis Joséphine, je vois le rapport qu’elle a avec ses ancêtres, les anciens comme elle les appellent, et à quel point elle est capable de tourner cela vers l’avenir. Moi, cela m’aide à poursuivre ma route.
Vous évoquez la nature dans ce texte : la lumière, le ciel, les territoires sauvages immaculés, les astres, l’espace. Elle est omniprésente dans la plupart des autres chansons…
Assurément. Cet album a été créé dans un contexte de pandémie. Je me suis retiré pendant cette période en campagne. Cet environnement m’a permis d’être en contact avec moi-même et la nature. Mes sessions d’écriture et d’enregistrement ont été entrecoupées de balades en forêt et de relâchement total. Une bulle musicale plus enveloppante et j’ose dire plus méditative que sur mes autres albums.
Dans Sillonner la lenteur, vous parlez du temps qui passe. C’est finalement très actuel…
Depuis plusieurs années, de plus en plus de gens retournent dans les régions. Une plus grande conscience sur le fait que l’on vit dans des sociétés de performance et de productivité constante. Le monde est écœuré d’être dans cet environnement. Moi j’ai toujours eu ce besoin de m’arrêter et de faire un bilan, de me poser la question : est-ce que je m’en vais où j’ai envie d’aller ? Puis en ayant une nouvelle vie plus en campagne je me suis rendu compte que j’avais besoin de cela. Par pression personnelle et sociale, on s’oblige à être constamment dans un sentiment d’urgence, qui n’a pas sa raison d’être. J’ai l’impression d’être très ésotérique, mais ce n’est pas ça, car je suis très terre à terre.
Quand le public commente vos chansons, dont Mathilde : « C’est tellement beau, cela nous fait du bien ». C’est positif, mais n’est-ce pas un peu réducteur ?
Je pense qu’à partir du moment où l’on est touché, non. Il y a plein d’artistes qui me font du bien et cela n’est pas réducteur. Moi, je ne suis jamais dans le buzz instantané, dans le son du moment, dans la chanson à forte rotation sur les radios commerciales. Ma carrière s’est faite lentement mais sûrement. Mes salles se sont remplies au fur et à mesure. Quelque chose s’est construit avec les personnes qui me suivent.
Vous ne forcez jamais le trait…
Je refuse. C’est ma qualité, qui peut être un défaut à certains moments, je suis entêté et tiens à mon indépendance d’esprit et ma liberté.
Dans vos chansons, votre poésie reste accessible, mais vous ne dites pas tout ?
C’est volontaire. Et j’y tiens. Je crois en l’intelligence des gens qui m’écoutent. L’écriture pour moi est un travail d’équilibre entre donner assez d’indices pour que le public puisse se faire son interprétation personnelle, et être dans des figures de style, dans une langue qui ne donne pas du «tout cuit dans le bec», imagée, poétique, pour avoir une singularité ou une couleur d’auteur.
Et puis vient À fleur de peau, un ovni en plein milieu…
C’est une pièce musicale. Je suis très près de la musique folk, je compose tout avec ma guitare, mais j’ai toujours été un grand admirateur de synthétiseur, de sons analogiques, très ambiants. C’est souvent de la musique instrumentale que j’écoute quand j’écris. Je suis allé à l’extrême dans cette expérimentation, sans guitare. Elle arrive en milieu d’album, car je pense toujours en fonction d’un disque vinyle avec une face A et une face B. La face A commence avec Joséphine Bacon, et la face B avec cette pièce, cela donne un souffle pour le reste qui va suivre.
Mathilde, titre qui a déjà été dévoilé, est poignant …
J’ai toujours été inspiré par la psychologie et la philosophie, j’ai travaillé dans le domaine social par le passé. Je suis attiré par les gens qui sont en quête de bonheur et de liberté. Pour moi Mathilde, c’est un personnage qui est figé, paralysé, qui souhaite s’en sortir et qui ne sait pas par où commencer. J’ai beaucoup de difficulté à rester dans la simple noirceur. Je n’avais pas envie de positionner Mathilde dans un contexte très précis, mais c’est l’intériorité qui m’intéressait. Il y a un constat certes, mais après il y a la lumière, la chanson est aussi un accès sur la recherche de solutions.

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Crédit photo principale : Émilie Dumais
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