
Le 14 janvier dernier, Lhéfé a effectué le lancement de leur EP, intitulé Mentir mon plaisir, au Quai des brumes. Alliant la musique pop et le jazz, le duo composé de Charlie et d’Irma nous présente, dans cet article, leur univers musical quelques jours avant leur prochain spectacle en sol montréalais le 4 février prochain au Verre Bouteille.
Présentez-moi votre parcours musical de chacune à ce jour jusqu’à la création de Lhéfé.
Charlie : Du plus loin que je puisse me souvenir, la musique m’a fascinée. Aujourd’hui, je sais que c’est parce que je considère qu’il s’agit de la meilleure manière de s’exprimer, de la plus juste. Bref, très jeune, mon amour pour la musique s’est traduit par ma passion du chant. Mes parents ont des tonnes et des tonnes de VHS de moi enfant qui chante partout et devant n’importe qui. J’ai eu la chance d’étudier dans une école primaire de musique qui m’a fortement stimulée. J’ai ensuite suivi des cours de chant tout au long de mon secondaire, mais c’est au cégep que j’ai retrouvé plus sérieusement la musique en participant à mon tout premier projet musical avec Irma. J’ai ainsi eu la chance de participer à mes premiers concours en tant qu’autrice-compositrice-interprète, de faire mes premiers concerts « sérieux », de participer à mes premiers festivals, etc. Après plusieurs années dans ce projet, Irma et moi avons ressenti le besoin de se lancer dans un nouveau projet plus en phase avec nos valeurs et avec les conditions dans lesquelles nous voulions créer. De là est né Lhéfé.
Irma : Mes parents m’ont transmis leur amour de la musique alors que j’étais toute petite et j’ai vite montré un grand intérêt. J’ai eu la chance d’aller dans des écoles de musique qui m’ont donné de solides bases et qui m’ont permis de m’épanouir dans ma passion. J’ai essayé toutes sortes d’instruments : le violon, la flûte, le violoncelle, le piano, la viole de gambe, l’euphonium, j’ai même joué de la scie musicale ! J’ai suivi une formation en musique classique pendant une dizaine d’années. Par la suite, toujours avec le violoncelle, mon instrument principal d’étude, j’ai décidé de m’orienter vers le jazz avec la technique en interprétation au cégep de Saint-Laurent. Ça a été un moment révélateur et formateur dans mon parcours musical ; j’ai graduellement commencé à gagner en liberté. J’ai ensuite décidé de poursuivre mes études supérieures en violoncelle jazz. Plus globalement, j’ai toujours aimé explorer et composer des chansons. Pour moi, c’est comme un mélange entre un jeu de casse-tête et de théâtre. Lhéfé est l’aboutissement de ces années d’apprentissages scolaires, professionnels et personnels. C’est un projet qui me permet de m’épanouir sur plusieurs plans et je sens que tous les savoirs que j’ai acquis avec le temps commencent à prendre sens.
Présentez-moi votre univers musical. Qui est Lhéfé ? Quelle est votre identité autant en studio que sur scène ?
Lhéfé est un projet ouvertement féministe, un projet qui souhaite dire des choses trop souvent tues et aussi normaliser certaines choses dont on entend encore trop peu parler. Fun fact, en créant, on s’est déjà dit : « On peut-tu juste faire des tounes de lesbiennes sans que ce soit des tounes de lesbiennes. Juste des chansons d’amour tsé ». Alors oui, autant ça que de faire des chansons pour dénoncer plus précisément certaines problématiques comme le harcèlement de rue tout en ayant une approche intrinsèquement créative et libre en abordant ces sujets. On traite aussi d’autres sujets plus larges en lien avec nos vies de vingtenaires comme la santé mentale, les relations familiales, les relations en général, nos peurs, nos désirs, etc. Plus globalement, on essaie aussi de réinventer à notre manière l’espace du violoncelle en tant que lead dans une formation musicale et c’est une belle exploration à faire compte tenu du background classique et jazz d’Irma. Lhéfé, c’est aussi un projet naissant bouillonnant de créativité et de possibilités. Avec l’aide de Rosalie Desrochers, on a aussi la chance d’explorer notre identité esthétique depuis les tout débuts de Lhéfé. Aujourd’hui, on peut dire qu’on qualifie notre esthétique comme onirique et décapante. On aime que cet aspect du projet soit un aspect vivant et réfléchi. Musicalement, on mélange assez organiquement le pop et le jazz. Sinon, notre approche poétique quant à nos paroles est une approche frontale ; notre écriture est honnête et souvent perçante. Sur scène, accompagnées de nos musiciennes exceptionnelles (Rébecca Legault, Albertine Poirier, Delphine Dulude et Florence Beauquier-Léger), on offre une performance absorbante. Notre approche poétique se transmet bien sur scène ; on est honnêtes, on crache nos douleurs et on célèbre le beau, dépendamment des chansons.


Sur la photo de gauche: Lhéfé (Charlie et Irma) avec leurs musiciennes (Rébecca Legault, Albertine Poirier, Delphine Dulude et Florence Beauquier-Léger) ainsi que des musiciennes en extra (Margaret Donovan et Molly Snyder).
Présentez-moi votre EP Mentir mon plaisir.
Mentir mon plaisir, c’est nous, c’est notre vie de vingtenaires, ce sont nos expériences. C’est notre féminisme, notre colère, notre amour, nos enjeux de santé mentale, notre intensité, notre sensibilité. Sa concrétisation parle vraiment de notre capacité à s’empower en tant que femmes et personnes queer. La sortie de ce EP était aussi une éclosion, c’était notre manière de mettre un pied dans le monde. On a décidé qu’on était prêtes pour naître en tant qu’artistes et cette décision en soi était libératrice. Le EP est né de très peu de moyens, mais on est fières de ce qu’on a réussi à faire avec ce qu’on avait et on est extrêmement heureuses que les gens aient enfin accès à notre musique.
Quelle est la chanson qui vous représente le plus sur votre EP ? Quelle est celle qui vous rend le plus fier ?
On est vraiment fières de Toujours pour elle. Déjà, on adore les chansons qui sont en grand crescendo, ça nous fait du bien à l’intérieur. Ensuite, comme plusieurs, on est des grandes fans de chansons d’amour tristes. Rien de plus touchant, rien de plus incisif et on aime vivre la musique comme cela, on aime la sentir passer à travers nous. Aussi, on adore la progression d’accord et la groove de cette chanson. Sans aucun doute, le solo décadent de saxophone au milieu ajoute au build up et à la dimension de la chanson. Toujours pour elle a aussi marqué une nouvelle « ère » dans notre création comme, au moment où on l’a écrite, elle sortait tout de même de notre créneau stylistique initial. C’est un plaisir de la faire sur scène ensemble comme on chante toutes les deux dans cette chanson.
Mention spéciale tout de même pour Tempête qui est très cathartique pour quiconque ayant vécu du harcèlement de rue et qui est une grande libération pour nous chaque fois qu’on la joue sur scène.
Est-ce que les chansons de votre EP ont été construites avant tout pour la scène ?
On ne peut pas dire qu’elles aient été construites avant tout pour la scène, mais vivre Lhéfé en live est indéniablement une tout autre expérience. On a un public exceptionnel et l’échange qui se fait entre celui-ci et nous est vraiment palpable. Je pense que créer c’est extrêmement thérapeutique pour nous et, quand on joue nos chansons sur scène, il y a quelque chose de ce soulagement initial de la création et de ce pouvoir que ça nous apporte qui se rejoue avec le public. Quand les gens nous font sentir et/ou nous expriment qu’iels se retrouvent dans nos chansons, qu’iels arrivent à se les approprier, notre mission est accomplie.
Quelle est la force de chacune ?
Charlie : Irma est une personne incroyablement curieuse et libre et ça m’inspire énormément, autant musicalement que dans la vie en général. Ça me permet de me remettre en question, d’emprunter des chemins que je n’aurais jamais explorés sans elle et de grandir personnellement et artistiquement.
Irma : Charlie m’inspire beaucoup par sa drive, dans la vie, elle fonce et elle y croit. Aussi, j’admire sa capacité à avancer, elle fait preuve d’une grande résilience et c’est quelque chose de grandiose chez elle. Globalement, Charlie et moi nous complétons vraiment bien, on s’aide à avancer et à s’équilibrer. On arrive toujours à s’adapter malgré nos différences.
Charlie / Irma (Lhéfé)


Vous abordez des sujets féministes dans vos chansons, que souhaitez-vous transmettre comme message ultimement à votre public. Qu’est-ce qui vous touche le plus au cœur ?
Plus jeune, on était déjà passionnées de musique, mais on voyait trop peu d’artistes femmes ou queer sur scène, surtout en ce qui concerne les musicien.ne.s qui n’étaient pas les têtes d’affiche. On a envie de s’inscrire dans la lignée des groupes de femmes et des groupes queer et de participer à offrir cette représentation qui nous a manqué. Ça nous touche au cœur quand les gens nous disent que ça leur fait du bien de voir des femmes sur scène. On aime aussi le fait que ça permet d’ouvrir simplement le dialogue sur le féminisme. Plus précisément, dans nos chansons, on a entre autres envie d’écrire le tabou, de le personnaliser pour peut-être le rendre plus facile à être discuté ; on n’a qu’à penser à nos chansons sur la violence conjugale ou sur le harcèlement de rue. De plus, on souhaite montrer que la colère que beaucoup de femmes et de personnes queer ressentent dans la société patriarcale dans laquelle on vit est valide. Mieux que valide, qu’elle est partagée et que de celle-ci on peut inventer, crier, danser, chanter, que de celle-ci on peut créer du beau tout en faisant bouger les choses, tranquillement, mais sûrement.
Quelles sont vos aspirations musicales ? Qu’est-ce que vous souhaitez laisser comme empreinte ?
Évidemment, on a toutes les deux le désir de continuer à voir grandir ce projet et de, ultimement, vivre de ce projet comme celui-ci nous fait vivre d’une certaine manière. En outre, on veut sortir un peu de Montréal pour se représenter sur des scènes partout au Québec et, éventuellement, qui sait, peut-être ailleurs dans le monde. On a aussi envie de se laisser le temps d’explorer pour constamment continuer d’évoluer musicalement, pour continuer de forger notre identité artistique.
Vous serez en spectacle le 4 février prochain au Verre Bouteille, à quoi s’attendre de ce show ?
Après notre concert de lancement haut en énergie, on a hâte à notre spectacle du 4 février, car on s’y retrouvera en formule plus intime, ce qui nous laisse de l’espace pour connecter davantage avec le public, mais aussi pour jongler avec nos arrangements. Malgré l’intimité, comme à chacun de nos spectacles, la célébration sera de mise !
Et pour finir, dites-moi un fait inusité sur le duo.
On est très loin du stéréotype des musiciennes qui créent en faisant le party. On commence toujours nos rencontres par une tisane quelconque et on a ultimement le rêve d’avoir de la tisane comme merch. Un de ces jours, un de ces jours hahaha !