
Critique de notre journaliste
Le film est sorti le vendredi 2 décembre au Québec. Dans ce premier long métrage, la réalisatrice Marianne Farley nous fait rencontrer des personnages maladroits plus vrais que nature, qui sont à la croisée des chemins. Nous l’avons rencontré pour vous, ainsi que les principaux acteurs.
Dès le début, nous suivons Annie, interprétée de façon magistrale par l’actrice Céline Bonnier, une maman Montréalaise qui élève seule ses deux enfants, de pères différents. Marianne Farley, qui avait réalisé notamment le court métrage Marguerite, primé aux Oscars en 2019, utilise ici souvent la caméra à l’épaule, comme pour un documentaire, afin de nous placer au cœur de l’action. Il convient de noter les très belles couleurs, la sublime musique de Frannie Holder et des plans de paysages québécois à couper le souffle.
Annie, complètement dépassée, ne sait plus comment s’en sortir, et fuit avec sa voiture le Québec pour rejoindre Tampa Bay, en Floride, où se trouve le père de sa fille. Car sa fille métisse, Sarah (Zeneb Blanchet) est une adolescente qui a été harcelée à l’école et aurait fait quelque chose de grave. Ce lourd secret est dévoilé par étape. Son jeune fils de 10 ans, Félix (Eliott Plamondon) est le plus lucide au milieu du chaos et permet à l’histoire de ne pas être trop sombre. Le film est sur un faux rythme et nous tient en haleine. Il aborde des thèmes comme le harcèlement à l’école, les relations compliquées entre les parents et les adolescents, la jalousie entre les jeunes ou la fuite de la réalité.
La voiture d’Annie va tomber en panne aux États-Unis. Elle va devoir y rester plusieurs jours et composer avec un mécanicien solitaire, Paul (Rick Roberts), qui élève sa fille Hope (Naomi Cormier) tant bien que mal, dans une relation compliquée. On va découvrir au fur et à mesure les drames et les fêlures de ces deux familles.
Le pari de Marianne Farley est réussi. Le cœur serré, on ne décroche pas de ce drame psychologique, qui ne tombe jamais dans les clichés, entre tensions, haines, amours, pleurs et quelques rires. La caméra est souvent cadrée sur les visages des acteurs qui jouent les émotions avec justesse et de façon très naturelle, même pour les plus jeunes. Ils sacrent souvent. Si le film reste assez sombre, on croit à l’histoire, c’est la grande force de ce film. Le non verbal est important, avec une grande place aux silences et aux regards, au suggéré.
Alors pourquoi pas une note de 5 sur 5 ? Le film ne prend qu’un seul chemin. Si le spectateur accroche, il va être sous tension du début à la fin, il va rire et même pleurer à la fin. Mais si cela n’est pas le cas dans les 15 premières minutes, il risque de trouver le temps bien long.
LES ENTREVUES
Marianne Farley, la réalisatrice
Comment avez-vous eu l’idée du film ?
Je suis un jour réellement tombée en panne aux États-Unis, j’étais avec mes deux garçons. Je n’étais pas en train de fuir, mais j’ai dû laisser ma voiture là-bas. J’ai écrit le film avec Claude Brie, le père de mes enfants et mon ex-conjoint. Il était venu nous chercher. Le sentiment d’être une femme seule avec ses deux enfants au milieu de nulle part, avec une voiture qui ne veut plus démarrer, est spécial. Il y a quelque chose dans la tension dramatique ainsi que de l’anxiété que cela génère, et que je trouvais riche.
Dès le début, la caméra à l’épaule rapproche le spectateur des personnages…
Mon désir était que l’on soit avec eux, happé par l’histoire, intrigué par le drame de cette jeune femme qui se fait intimider d’un côté, mais aussi brassé par sa mère qui prend des décisions pour elle et qui veut la sauver à tout prix. Au niveau de la réalisation, j’ai voulu être près des acteurs, par le choix des caméras et des lentilles.
Le thème principal est-il la fuite en avant ?
J’avais le goût de parler de cette fuite-là, une thématique très universelle. Des gens qui se fuient eux-mêmes, qui fuient des partenaires de vie, des réalités ou dans la consommation. Cela n’est pas tout le temps la bonne solution à prendre. Ici, Annie en voulant aider sa fille lui nuit plus qu’autre chose. Je voulais aussi explorer la parentalité, la monoparentalité difficile, les relations mères-filles. L’adolescente renvoie à sa mère ses failles et ses contradictions. Paul vit aussi la même chose avec sa fille. On voit deux solitudes qui se repoussent, mais finissent par s’apprivoiser.
Les acteurs ont un jeu très naturel, on y croit […]
J’aime beaucoup les silences, les non-dits et la retenue. Je trouve qu’on a tendance à vouloir que les acteurs jouent, mais je les trouve intéressants quand ils ne font qu’exister devant la caméra. Cela prend des acteurs fabuleux, que j’ai choisis pour leur capacité à vivre les émotions et non pas à les démontrer.



Céline Bonnier, actrice principale, dans le rôle d’Annie
Comment êtes-vous arrivée sur ce film ?
J’ai eu une rencontre de plus de deux heures avec Marianne Farley en pleine pandémie, dans un parc. Nous avons eu un coup de foudre professionnel. Cela me tentait beaucoup de travailler pour cette femme brillante, qui à des opinions et est très exigeante, et qui a toute sa place dans ce milieu-là. Je trouvais le scénario intéressant, fort et bienveillant.
Annie, votre personnage, passe par tous les sentiments, avec des maladresses, des silences…
J’ai essayé de faire un chaudron qui bout, mais avec le couvercle. Elle a le secret en elle et est très stressée. C’est quelqu’un d’impulsif, qui fuirait sans cesse vers l’avant. Il y a des moments forts, comme quand sa fille Sarah se réfugie dans une cachette où se sont aussi cachés des esclaves à une autre époque. On observe un enfant qui peut aider à faire grandir sa mère, dans le cadre de la monoparentalité. Finalement, Sarah lui apprend à vivre. Tant que l’on ne fait pas face à ce qui nous fait peur, on tourne en rond. Son fils Félix est lui une bulle d’oxygène.



Zeneb Blanchet, dans le rôle de Sarah
Ce film marque-t-il un palier dans ta vie d’artiste ?
Au fil des années, je prends confiance, cela faisait quatre ans que je travaillais quand j’ai travaillé sur ce film. Au Nord d’Albany est arrivé à une bonne période dans ma carrière. Nous avons créé de très beaux liens avec le cadreur Noah Gauthier, Céline, Marianne et toute l’équipe. Je n’avais plus qu’à me concentrer sur les émotions, j’ai vraiment fini par oublier un peu la caméra et tout ce qu’il y avait autour.
Les acteurs, toi compris, jouez de façon très naturelle pour rendre le tout crédible […]
Et pourtant cela était difficile pour créer des liens au départ, nous avons tourné en plein COVID. Nous devions constamment avoir nos masques avec des lunettes. C’est au dernier moment que nous avons découvert nos visages complets avec le cadreur, la maquilleuse ou la cheffe coiffeuse. C’est un travail que nous avons fait tous ensemble, et Marianne a su très bien nous diriger.
Ce film nous rappelle qu’il faut aussi écouter les jeunes qui ont parfois la clé…
Vraiment. C’est une belle histoire aussi de réconciliation. Le personnage d’Annie prend une partie de la responsabilité. Mais sa fille Sarah, le personnage que j’interprète, passe un message à sa mère : « Je sais qui je suis finalement, et je sais que je vais être mieux dans cette décision. S’il te plait, écoute moi maman ». Certaines choses étaient proches de mon existence. J’ai une mère monoparentale, j’ai grandi avec mon petit frère et j’ai vécu de l’intimidation, pas à la même hauteur que le personnage de Sarah dans le film. Beaucoup de travail, mais j’ai apprécié la confiance de Marianne.


Eliott Plamondon, dans le rôle de Félix
Comment es-tu parvenu à ce rôle ?
Cela remonte un peu [il a aujourd’hui 14 ans]. Ma mère avait vu une publication où l’on recherchait un petit gars de 9 ans environ pour une audition pour un film. J’ai lu le scénario et je me suis dit que cela serait une super expérience pour moi. Je me suis beaucoup investi dans les auditions. Le personnage ne me ressemble pas vraiment dans la vie, et j’y ai vu plein de défis à relever. Il y a une scène où il faut que je sacre, et dans ce temps-là je ne sacrais jamais [rires].
Félix apporte de la bonne humeur dans le film, il joue avec ses jouets et il discute beaucoup …
C’est un petit soleil. Marianne me parlait par talkie-walkie pour me guider et m’a beaucoup aidé, pour parler moins vite et un peu moins. J’ai regardé Céline travailler aussi. Toute l’équipe était géniale, dont Céline et Zaneb, j’ai vraiment bien connecté. Je parlais en anglais avec Rick (qui joue Paul) devant et derrière la caméra, c’était le fun, avec Zaneb on s’amusait à se taper dans les jambes hors caméra, on se niaisait.

