
Le documentaire réalisé par l’historien maritime rimouskois Samuel Côté, que nous avons rencontré pour vous, retrace les différentes recherches effectuées de 1965 à 1999 sur l’épave du paquebot canadien l’Empress of Ireland, qui faisait la liaison régulière entre Québec et Liverpool (en Angleterre). Le bâtiment a fait naufrage le 29 mai 1914 à proximité de Rimouski. Il s’agit de l’une des épaves les mieux conservées au monde.
Prenez note : Diffusions sur la chaîne Historia (débrouillée jusqu’au 31 janvier 2023) : samedi 21 janvier à 21h | dimanche 22 à 9h et 23h | lundi 23 à 11 h | mardi 24 à 3h et 15h | mercredi 25 à 5h et 17h.
Le film, que nous avons pu visionner en avant-première, est la suite du premier volet intitulé À la conquête de l’Empress Of Ireland (qui traite de la période de 1914 à 1964 et sera rediffusé sur la chaine Historia au printemps). L’oeuvre est un enchaînement rythmé d’archives commentées et provenant en grande partie de Radio-Canada, avec des dessins et schémas, parfois animés, pour expliquer les prouesses technologiques de l’époque. On y retrouve des interviews passionnantes de plongeurs intrépides, qui ont remonté de nombreux objets, devenus rares et très chers, ou ayant une valeur historique.
Samuel Côté nous conte les différentes expéditions, par ordre chronologique, souvent financées par de riches hommes d’affaires. Les recherches étaient dangereuses pour les plongeurs. Ils devaient rentrer dans l’épave remplie de vase et récupérer des objets comme du bois précieux et de gigantesques hélices, souvent à l’aide d’explosifs. Les plongeurs regagnaient la surface dans un caisson hyperbare, leur permettant de passer les paliers de décompression une fois à bord du bateau de recherche.
Pendant toute cette période, de nombreux plongeurs venant du monde entier ont pu récupérer impunément toutes pièces du bateau. Les objets sont ainsi répartis un peu partout à travers la planète, dans des musées ou des collections privées. Depuis 1999, l’épave est protégée par le gouvernement afin de freiner les recherches d’envergure.
Samuel Côté a d’ailleurs répertorié les épaves du Saint-Laurent sur un site : https://lecimetieredusaint-laurent.com
Interview de Samuel Côté, historien maritime et chasseur d’épaves
D’où vient cette passion pour les bateaux échoués ?
J’ai 37 ans aujourd’hui. Dans mon adolescence, j’ai appris qu’en face de notre chalet familial, le cargo canadien Carolus avait été torpillé par un U-69, un sous-marin allemand, le 9 octobre 1942. J’étais curieux. Puis ma passion est devenue mon métier.
Le documentaire est rythmé avec beaucoup de témoignages provenant d’archives. Tu ne te mets pas spécialement en avant…
Je voulais faire un documentaire classique, mais dynamique, avec beaucoup d’archives. C’est une épave particulière qui méritait un traitement particulier.
J’ai parsemé ma présence avec celle de l’historien David Saint-Pierre, LE spécialiste de l’Empress, car je voulais enfin démystifier des rumeurs qui perdurent depuis longtemps. Nous pouvons être capables de dire aux plongeurs qu’il n’y a plus de lingots ni de moteurs d’avion dans le bateau. De nouveaux documents retrouvés, comme les documents des compagnies d’assurance, nous permettent d’avoir un éclairage plus étoffé sur la cargaison du bateau.


Les plongées y semblaient extrêmes et dangereuses ?
Oui. Je voulais laisser la parole à ces plongeurs qui ont risqué leur vie pour aller chercher des artéfacts. Certains ont disparu et il y a eu de nombreux accidents. Ils ont été des pionniers de la plongée au Québec, ils n’avaient pas froid aux yeux, avec chacun son histoire. Ils ont longtemps été vus comme des pilleurs, mais en même temps l’épave avait été abandonnée. Quel plongeur passionné aurait refusé d’aller plonger sur l’une des plus précieuses épaves au monde ?
Où se trouve l’épave de l’Empress ?
Elle se trouve à 8 km de la rive du village de Sainte-Luce, près de Rimouski. Il faut donc être équipé pour s’y rendre et plonger. Dany Saint-Cyr, encore en activité, y a effectué plus de 600 plongées, explorant 95 % de l’épave. Il est l’un des rares à être rentré dans la salle des machines, non sans risques.
Quel est l’état de l’épave aujourd’hui ?
Le bateau est couché sur le côté. L’avant est bien conservé, mais l’arrière est très abimé [comme expliqué dans le film]. Les ponts sont écroulés. Il y a eu une brèche, mais les dommages ne sont pas si pires et l’embarcation avait vite été au fond de l’eau, en entier. Le temps passe, mais après plus de 100 ans, elle est encore très bien conservée.
Dans les années 90, de nombreux plongeurs étaient sur place dans le cadre d’opérations touristiques ?
Des magazines ont mis la lumière sur l’Empress. Des plongeurs du monde entier étaient attirés, car il y avait des objets à trouver, mais aussi, car l’épave représentait l’Everest pour de nombreux plongeurs et restait très accessible.





Que va-t-il rester de l’Empress et reste-t-il encore des mystères à percer ?
Pour ce qui des traces principales, il y a le magnifique Musée Empress, situé sur le site historique maritime de la Pointe-au-Père à Rimouski. Il y a des monuments qui rappellent aussi le naufrage.
Une chose qui pourrait m’intéresser c’est de trouver la pale de l’hélice bâbord perdue en 1968 [en remontant la très lourde hélice, une palle était restée plantée dans la vase]. D’autres belles pièces n’ont également pas été trouvées.
Les archéologues ont passé beaucoup de temps sur le site. Les technologies nous ont appris de nouvelles choses. Elles permettent de suivre l’évolution de la détérioration de l’épave et ainsi de voir quels sont les possibles dangers pour les plongeurs. Mais des mystères demeurent.
Il y a aujourd’hui moins de plongeurs qu’à l’époque. Il faut être expérimenté, car il s’agit en plongeant d’apprivoiser et d’approcher avec respect un bateau de 570 pieds de long [175 mètres] tout au fond de l’eau.
As-tu d’autres projets similaires en prévision ?
Je suis avec Historia depuis 2012 sur des documentaires et séries télévisées. Je prépare d’ailleurs un troisième volet sur l’Empress, le dernier, La malédiction de l’Empress of Ireland, sur les accidents et décès lors des plongées. Je vais beaucoup tourner cette année. Je travaille aussi sur une série diffusée depuis un an sur Unis TV, Secrets des profondeurs.
Crédit photos : Courtoisie