
Né d’une conversation entre Marie‑Joanne Boucher et Jean‑Marc Dalphond, Projet Polytechniqueutilise le théâtre documentaire pour essayer de comprendre l’inexplicable. Cette œuvre étoffée produite par Porte Parole alimente la réflexion et répond à un devoir de mémoire envers les victimes de la tragédie.
Chaque 6 décembre, plusieurs personnes publient des statuts pour commémorer la tuerie de l’École Polytechnique. En 2018, à l’aube du 30 anniversaire de cette tragédie qui a marqué le Québec, Marie-Joanne Boucher se joint au mouvement. Ce jour-là, la comédienne diffuse une photo de son fils accompagnée d’un bref texte sur la nécessité de transmettre aux garçons des valeurs qui préviendront de semblables massacres.
Parmi les gens qui commentent sa publication se trouve Jean‑Marc Dalphond. Le comédien lui adresse un message de remerciement et lui mentionne que sa cousine Anne-Marie Edward faisait partie des victimes. Il s’en suit un échange lors duquel elle apprendra que celui-ci a coutume de partager les noms des 14 victimes sur Twitter et que cette simple publication a provoqué un déluge de haine.
Cette révélation la pousse à le convaincre de créer une pièce de théâtre documentaire dans le but de comprendre ce qui s’est produit.
Une hydre à plusieurs têtes
D’abord réticent, Jean‑Marc accepte finalement de participer au projet. Il prévient toutefois Marie‑Joanne qu’ils s’attaquent à un monstre à plusieurs têtes. C’est-à-dire qu’il y a énormément d’angles pour analyser ce tragique évènement et tenter d’en saisir la portée. Il est entre autre question des féminicides qui s’accumulent, du contrôle des armes à feu et du web qui alimente les discours antiféministes.
Or, en tentant d’aborder le problème de tous les côtés, on finit par ratisser très large. Le tout donne un spectacle touffu de presque trois heures (incluant un entracte de 20 minutes). On aura eu intérêt à resserrer le tout en laissant tomber des éléments moins près du sujet principal, comme l’attentat de la grande mosquée de Québec par exemple.
Un spectacle fouillé
Fidèle aux autres créations de Porte Parole, la pièce est extrêmement bien documentée. Marie-Joanne et Jean-Marc ont réalisé pas moins d’une centaine d’entrevues avec des gens de tous les horizons soutenant une variété de points de vue. Ils ont aussi fait du travail de terrain en se joignant à un club de tir et en infiltrant un groupe d’incels.
Le fruit de toutes ces recherches est porté sur scène par les deux comédiens entourés d’une solide distribution qui incarne avec polyvalence les différents intervenants. Notons par exemple Stéphan Allard qui interprète à la fois le policier Jacques Duchesneau et l’antiféministe Jean-Claude Rochefort.
Une pièce bouleversante
Nul besoin de souligner à quel point le propos est dur. On salue les créateurs d’avoir ajouté quelques touches d’humour pour alléger l’atmosphère. Cela permet au public de reprendre son souffle. Un autre bon coup de la mise en scène est la façon dont les 14 victimes ont été intégrées au spectacle. En plus d’écrire et de chanter leurs noms, on les représente par une pièce de vêtement et on évoque leur présence sous forme d’ombres.
On quitte le TNM le cœur lourd avec plus de questions que de réponses, mais avec le sentiment d’avoir rempli un devoir de mémoire.
Projet Polytechnique
Une création écoresponsable de Porte Parole, en coproduction avec le TNM, Diffusion Inter-Centres et Écoumène
Présentée au TNM jusqu’au 13 décembre 2023, puis en tournée au Québec en 2024.
Idéation et texte : Marie‑Joanne Boucher et Jean‑Marc Dalphond
Dramaturgie et collaboration au texte : Alex Ivanovici et Annabel Soutar
Collaboration au texte : Stéphan Allard
Distribution : Stéphan Allard, Mustapha Aramis, Lamia Benhacine, Marie‑Joanne : Boucher, Jean‑Marc Dalphond, Estelle Esse, Julie McInnes, Jules Ronfard et Cynthia Wu-Maheux.
Mise en scène : Marie‑Josée Bastien
Texte : Nancie Boulay
Crédit photo : Yves Renaud