
Voici notre entrevue avec Emerik St-Cyr Labbé de Mon Doux Saigneur pour la sortie, le 13 mai, de leur nouvel album Fleur de l’Âge. Le lancement aura lieu au La Tulipe le 26 mai.
Q : Bonjour, comment vas-tu ? J’aimerais commencer avec une question assez directe. Pourquoi Fleur de l’âge ?
R : Bien, merci ! C’est vraiment un titre qui est apparu quand j’ai commencé à écrire la chanson Fleur de l’Âge et c’est un titre que j’ai trouvé seulement quand j’ai enregistré mes premières idées; je n’avais pas nécessairement toutes mes paroles.
Quand on a eu les chansons devant nous et qu’on cherchait un titre, Fleur de l’Âge est une idée qui était sortie, plus pour le son et ce que cela évoquait comme image, et à la fin du processus, on continuait de penser à ça et on est revenus là-dessus et on s’est dit que c’était ça le meilleur. Ça faisait très titre d’album et ça peut évoquer une époque.
Fleur de l’Âge, on peut souvent penser à un chiffre, mais mon réflexe est de penser à la jeunesse. C’était un peu comme un jeu où on déterminait dans l’espace-temps ce que Fleur de l’Âge voulait dire pour nous et c’est aussi juste une belle phrase avec Fleur dedans. Comment dire, ça sonne bien. Pour moi, c’est ça, parfois des titres ou des paroles; ça sonne bien et ce n’est pas seulement la symbolique ou seulement le concept. 25% selon moi est le concept et 75% est très instinctifs.
Ça fonctionne aussi avec ma vie, j’ai toujours vu ma vingtaine comme quelque chose d’intense et j’avais très hâte d’y arriver et, rendu dans ma vingtaine, j’avais hâte à la trentaine, mais c’est vraiment présentement que ça commence à être intense et très l’fun.
Depuis mon secondaire, je me cherchais beaucoup et je me demandais si ça allait se placer. Je ne savais pas ce que je voulais faire dans la vie et donc, pour moi, Fleur de l’âge, c’est le plus beau terme pour décrire la vie d’adulte; la vie d’adulte, mais quand tu te connais et que tu sais où tu vas. C’est une perspective assez naïve et je suis assez porté par les évènements et tout ce qui m’entoure. Je dis tout cela, mais je vais sûrement arriver à 50 ans et encore trouver la vie très belle et pleine de surprise.
Depuis quelque temps, on se rend compte qu’il y a des gens qui nous suivent depuis un petit bout et qu’il y a un genre d’effervescence entre les gens et les projets qui nous entourent, la collectivité et l’art en général. C’est un statement pour dire yeah on est là pour en profiter. Je trouvais ça cool aussi de proposer l’idée à mes musiciens et qu’ils acceptent puisqu’on vit tout ça ensemble. C’est mettre des mots sur ce que l’on vit.
Q : Tu as parlé de la collectivité. Ça fait quelques années que vous faites cela. Même si vous vieillissez, votre public reste assez diversifié dans l’âge. Donc, j’ai l’impression que vous pouvez offrir votre musique à une grande diversité de personnes. Autant des jeunes que des plus vieux.
R : Oui ! Vraiment, et c’est dans les spectacles qu’on s’en rend le plus compte. Les jeunes sont souvent ceux qui nous connaissent et les plus vieux sont là pour nous découvrir, mais on dirait qu’il y a une pointe de curiosité qui leur évoque quelque chose de familier. On dirait que, les jeunes, on leur fait aimer la vieille musique et, les vieux, on leur fait se remémorer les années avant l’ère moderne de Netflix et tout ça.
J’entends mes parents parler de musique et de chanson avec des dates et des ères en particulier et je peux vraiment comprendre le lien qu’on fait parfois avec une chanson qui nous a marqué. Parfois, des personnes en haut de 40 ans viennent nous voir et nous parlent des groupes auxquels on leur fait penser, et on en découvre. Les jeunes connaissent les paroles et découvrent de nouveaux bands à travers nous. Ils découvrent le country, comme nous on vient juste de le faire. On apprécie plus ces racines-là et on réussit à mettre ça dans un langage un peu plus cool et moderne.
Donc, les styles mais aussi les publics sont variés. Les gens sont émus par nostalgie autant que d’autres. Ça les aide pendant des périodes plus difficiles de leur vie. On est un nouveau groupe émergent, mais ce n’est pas si niché que ça, c’est accessible à une grande variété.

Q : Tu as mentionné que certaines personnes comparent votre musique aux années 70 et 80. Avez-vous des figures inspirantes ou des mentors autant au Québec qu’à l’international ?
R : Oui ! Dans le processus de créations, c’est vraiment la personnalité des groupes et la manière dont ils se sont formés qu’on trouve l’inspiration, quand on parlait des Stones ou des Beatles ou de toutes autres sortes de vieille musique. Nous n’avons pas vraiment besoin de nous nommer nos inspirations ou nos influences pour les entendre quand nous jouons.
C’est l’fun pour ça, de jouer avec des amis, parce qu’on a un langage silencieux à travers nos instruments. Quand on prend une direction, on les entend toutes, ces influences-là, et définitivement, on est des éponges qui absorbent énormément de trucs et on n’a pas nécessairement de règles. Parfois, on essaie de rester plus concis. J’essaie de ne pas nommer de groupe, mais c’est un ensemble de tout ce qui se fait au Québec. Il y a un retour de la musique plus roots, ça a toujours existé, mais t’sais, on dit tout le temps que le folk est revenu à la mode, mais en fait il n’est jamais vraiment parti.
C’est notre manière de rester intemporel, le jeu de l’un influence le jeu de l’autre et on se fait assez confiance pour qu’à la fin, on le sache que c’est du Mon Doux Saigneur. C’est dur de se perdre en chemin ensemble parce qu’on va toujours aboutir à faire du Mon Doux. Même si on faisait une chanson hip-hop, à la fin ça serait quand même nous t’sais.
Q : En fait, ça fait partie du processus artistique d’être à l’affut des genres et des styles pour vous le réapproprier j’ai l’impression.
R : J’en fais quasiment un devoir. C’est sûr que si j’ai un ami qui sort un album, je vais m’arranger pour l’écouter d’une manière très attentive. Autant underground que mainstream, entre musiciens, on s’en parle et on se fait découvrir mutuellement de la nouvelle musique. On gagne toujours à écouter du nouveau et à prendre des notes, que ça soit du LoFi ou de la musique de chambre ou le nouvel album de Nick Cave. Plus jeune, je divisais beaucoup plus les choses, et maintenant, je me rends compte que ça ne sert à rien, en fait.
Q : Est-ce que le processus de Fleur de l’âge est différent des deux albums précédents, Mon Doux Saigneur et Horizon ? Que ce soit le processus artistique, les questionnements, les influences… ?
R : Vraiment ! Je pense que le contexte de la pandémie a fait en sorte que j’ai été confronté à moi-même. J’ai appris à respecter mes idées au lieu de douter de moi-même. Il fallait juste passer à travers, dans le silence. Parfois, il se passe tellement de choses.
On a développé une énorme connaissance de soi à travers les deux derniers albums; nos forces, nos faiblesses et nos échanges dans le groupe ont été beaucoup influencés. Tout cela s’est fait dans la même esprit de collectivité, mais à chaque fois qu’on faisait un peu, on en faisait deux, alors le processus allait vraiment plus vite.
Autant de l’extérieur que de l’intérieur, j’ai l’impression que la direction est claire et il me semble qu’on sait de quoi on parle et ce qu’on veut faire ressentir aux gens. Notre album et le processus ont été assez transparents.
Avant, on arrivait en studio et on cherchait beaucoup, et maintenant, on sait déjà ce qu’on va faire avant d’arriver. Puisqu’on était plus organisés, on a eu du temps aussi pour improviser et essayer des chansons qu’on avait faites à temps perdu et ça a donné Shoegaze, Clou et Art Vivant. Cette partie ressemblait plus au processus du premier album, mais sans le questionnement et les doutes. Sans chercher à être efficaces, on l’est devenus. Parce que brainstormer à six, ça peut être quelque chose.
Q : Mais vous vous êtes fortifiés avec les années. Vous vous connaissez beaucoup plus, j’imagine ?
R : Oui, effectivement. Ça fait en sorte que si quelqu’un a un doute, on attend que tout le monde soit d’accord. Par exemple, j’avais un rift qui ressemblait à une chanson des années 70 et j’aimais ça. C’était comme un clin d’œil, et finalement, mon bassiste questionnait la nécessité de faire une référence, car on a déjà notre personnalité. Finalement, on a seulement changé de direction et on n’a pas trop posé de question là-dessus. J’ai l’impression aussi que je me suis amélioré à laisser les choses juste se passer et essayer de ne pas intervenir trop vite. Maintenant, rien ne sort que personne n’a approuvé pour te donner une idée.
Q : Tu as parlé de Shoegaze tantôt. Le vidéoclip est sorti il y a quelques jours. Comment s’est déroulé la direction artistique pour ce projet ?
R : C’était la première fois qu’on sortait un clip avec des comédiens. En commençant à écrire la chanson, on brainstormait déjà pour le vidéo avec un vibe un peu bandit style Bonnie and Clyde, mélangé à des films de cowboy plus moderne. Un a un peu influencé l’autre. Le mix de la chanson est arrivé en même temps que la colorisation du clip, alors tout s’est vraiment imbriqué en même temps. C’était vraiment un gros pourquoi pas.
Q : En fait, rien n’était décidé à l’avance. Les idées arrivaient et ça a donné le résultat qu’on peut maintenant voir.
R : Exactement, les réalisateurs ont tout le temps chacun leur petit côté personnel et leurs idées, et celui qu’on avait était très film d’action avec du suspens. Donc, c’est comme ça que ça a commencé. C’était comme une belle surprise. J’étais content que les musiciens veuillent faire partie du clip aussi, qu’ils veuillent se déguiser. C’était quand même drôle à faire. Ça aurait été très différent s’ils n’avaient pas été dans le vidéoclip. J’ai toujours été fan de voir les bands dans les vidéos. Ça fait très années 2000.
Q : Est-ce que vous avez d’autres projets de vidéoclip ?
R : Justement, je discutais avec quelqu’un de faire un projet avec un album ou des chansons, filmer des scènes en jam ou en show. Après, aussi, peut-être ajouter des dessins animés et mélanger les deux médiums. Donc, moins comme un clip à plusieurs milliers de dollars, mais juste filmer à la main et le gros du travail serait dans le montage. Je voulais me permettre de faire d’autres clips sans élaborer des choses trop complexes. Je pensais même filmer moi-même de temps et temps et ramasser des images qui se rapprochent un peu plus d’un making-of ou d’un documentaire.
J’ai l’impression que parfois, un support visuel peut vraiment amener la chanson ailleurs dans l’esprit, et ça vaut la peine de s’investir et de ne pas s’arrêter parce qu’on n’a pas les fonds. On peut en faire quand même. D’un point de vue extérieur, c’est l’fun de voir un artiste faire sa pochette lui-même ou de faire un stop-motion, de montrer qui il est. J’ai plein d’idées, et c’est seulement de se faire confiance et de collaborer avec les bonnes personnes. Probablement qu’on commencera cet été avec des images de show.
Q : Votre lancement du 26 mai s’en vient bientôt, justement !
R : Oui, puisque je serai sur scène, Guillaume filmera et il y aura des projections pendant le show, donc la mise en scène sera mélangée de plein de médiums avec un caractère très réel. J’ai très hâte de voir le résultat de tout cela, ça nous rapproche du processus créatif. Je risque de même filmer moi-même des choses et d’être là au montage. J’aime vraiment ça, quasiment autant que la musique ! C’est seulement que ce n’est pas mon domaine. Je vais être un peu en mode observation, mais il y a quelque chose de vraiment cool à participer.

Q : Est-ce que tu as des appréhensions pour le spectacle du 26 mai ?
R : On dirait qu’on est tellement prêts depuis longtemps que, dans notre tête, c’est déjà gagné. On n’a plus le stress, peut-être parce que ça fait juste assez longtemps qu’on l’a fait pour le jouer. Ça ne sera pas comme les autres, où c’était beaucoup plus une surprise. J’ai l’impression qu’on se fait vraiment confiance et qu’on n’a même pas l’énergie de douter. Non seulement on a hâte et on est enthousiastes, mais on aime l’album et on a eu de bons commentaires, alors on se laisse porter. C’est comme la première fois qu’on est autant sûrs de notre affaire.
Q : J’ai une dernière question. Après le 26 mai, la saison des festivals va suivre. Est-ce que vous avez des projets pour cet été ou cet automne ?
R : Pour les festivals, les programmations se forment après le temps des fêtes, alors c’est très tôt. Nous, dans un sens, on tombe plus dans un cycle à l’automne. Mais on est super chanceux, on a déjà quatre spectacles en juin, un en juillet et un ou deux en août. Mais peut-être que du moment que l’album sortira, on va avoir des surprises. On va peut-être se faire appeler ou avoir des propositions.
Il faut dire que, l’année passée, on n’avait pas sorti d’album, mais on avait été à La Noce, à Tadoussac, au Festif et on est allé aux Îles. On a fait un circuit assez rêvé pour un groupe qui n’avait pas sorti d’album. Mais là c’est ça, c’est la première fois qu’on sort un album au printemps et je n’avais pas vraiment réalisé, mais les gens vont l’écouter l’été, et c’est plus à l’automne que, nous, on va faire des shows. En ce moment, on est vraiment en mode lancement et on verra ensuite.
Pour suivre Mon Doux Saigneur!