
Sortie le vendredi 27 janvier au Québec. Prix du meilleur film québécois 2022 au 28e festival Cinémania.
Nous avons pu voir le film en avant-première. Il compte de magnifiques couleurs et plans, mais aussi des mouvements de caméra proches des personnages et de l’action. Les excellents dialogues, souvent lors de tête-à-tête, sont précis et bien ficelés, sans être trop longs. Le rythme est soutenu et le cinéaste nous garde sous tension de bout en bout. La grande force du film est que l’on croit à l’histoire et aux personnages. Les actrices et acteurs du film jouent avec délice la douceur, la douleur et la haine, tout en sacrant beaucoup. Nous avons rencontré le réalisateur Onur Karaman pour vous (voir plus loin).
Deux familles qui se rencontrent et se croisent dans un quartier défavorisé de Montréal
D’un côté une famille tunisienne avec Fouad, un adolescent de 15 ans, interprété par un Amedamine Ouerghi épatant, passant par toute une palette d’émotions, un père (Mohammed Marouazi) ingénieur dans son pays et qui gère au Québec un Kébab, victime de son manque d’«expérience québécoise», et une mère (Houda Rihani) qui travaille dans un centre d’appel.
De l’autre une famille québécoise décomposée avec Max (Frédéric Lemay), 27 ans, qui vit encore dans le sous-sol de son père (Roger Léger) propriétaire d’un garage avec qui il parle peu, et sa mère (Marie Charlebois) dépressive et polymédicamentée.
À feu doux
Les parents disent à leurs fils, Fouad et Max, quand la colère monte en eux : «Respire». Entre le manque de dialogue entre les pères et les fils ou d’échelle sociale dans ce quartier, les injustices et les mésaventures, la rancœur s’installe.
Fouad lui voit ses rêves de grand footballeur s’éloigner peu à peu et ceux de ses parents. Sa souffrance se manifeste par des épisodes violents à l’école.
La descente aux enfers et le racisme
Au début, Max plaisante volontiers avec la famille tunisienne quand il mange dans leur restaurant. Il va ensuite perdre son emploi, sa petite amie (Claudia Bouvette) et voir sa mère sombrer. En perdition, vulnérable, il va finir par être influencé petit à petit par les idées d’amis (dont le principal joué par Guillaume Laurin) racistes… jusqu’à l’irréparable…
Onur Karaman nous invite à réfléchir, notamment à la toute fin du film, car le personnage de Max n’est pas raciste à la base, tout comme son père qui combat les expressions racistes et prône le soutien aux immigrants du quartier au sein de son commerce… mais Max le devient. Sa mère lui dit d’ailleurs que l’Homme a deux côtés, le bien et le mal, et que «ça dépend comment on nourrit la bête à l’intérieur de nous».


Entrevue avec Onur Karaman, le réalisateur
Qu’est-ce qui t’a poussé à faire ce film ?
Le film devait s’adresser à la fois aux jeunes et aux plus vieux. Je souhaitais qu’il intéresse les jeunes immigrants, qui ne se retrouvent pas nécessairement dans les films québécois, tout comme les jeunes Québécois de souche. Je me donne un peu une tâche de médiateur.
Il aborde le thème du racisme, mais pas que…
Je voulais un film qui parle de racisme latent et de disparité sociale, sans être trop populiste, de façon honnête, dans lequel beaucoup de gens peuvent se retrouver. Dans un milieu de polarisation, je voulais faire le point sur le fait que nous sommes tellement similaires malgré nos différences superficielles, et que tous les jeunes s’intéressent plus au cinéma, avec une pensée critique. Par rapport à mes autres œuvres, ici j’ai voulu y aller de façon plus frontale, en montrant les expériences de mes protagonistes, leur monde, leurs émotions pour essayer de communiquer plus sur leurs univers étroits.
Nous nous laissons vite embarquer et continuons à réfléchir sur le film en sortant de la salle…
C’est le réflexe que l’on voudrait que les spectateurs aient, qu’ils soient marqués. Je tenais à avoir une simplicité à raconter l’univers de ces deux jeunes.
Le personnage de Max s’est transformé. Il n’est pas raciste au départ et n’appartient pas à une famille raciste …
Quand nous sommes vulnérables, nous avons tendance à frapper l’autre par son point faible pour nous sentir mieux et nous redresser, une réalité pas très loin de moi.
Tu es aussi scénariste et tu réalises le montage. Est-ce pour cela que le film garde un certain rythme, sans scènes ou sans dialogues trop longs ?
Oui. Il y a des scènes ou beaucoup de choses se passent, comme d’autres plus légères avec des dialogues. C’est le film pour lequel j’ai travaillé le plus fort la fluidité, pour garder l’intérêt du public.
Les parents y invitent leurs enfants à respirer…
C’est un message que je voudrais donner aux jeunes. J’étais entouré dans ma jeunesse d’amis avec le «sang chaud» et nous nous sommes retrouvés dans des situations qu’il ne fallait pas. Nous aurions pu facilement les éviter si nous avions pu respirer et réfléchir.
Il y a beaucoup à retenir de ce film…
Il n’est pas pessimiste pour moi. L’homme est profondément bon. Comment en arrive-t-on à de terribles situations ? Parfois, un simple sourire ou un bonjour peut changer la donne. Il y a aussi l’incapacité parfois des pères à parler avec leur fils, Gilles le papa de Max qui est un bon gars n’y arrive pas. Je me suis bien entouré devant et derrière la caméra, je suis fier de ce film.



Entrevue avec Amedamine Ouerghi, jouant le rôle de Fouad
Tu passes par toutes les émotions dans ce film. Ce rôle a-t-il été dur à jouer pour toi ?
Oui. C’est celui qui m’a été le plus demandant à ce jour. Onur [Karaman, le réalisateur] est très compétent dans ce qu’il fait. Il a su avoir une direction artistique adéquate et très importante pour m’aider à passer à travers.
En toute sincérité, mes précédentes expériences étaient surtout des projets «jeunesse», avec un jeu totalement différent. J’ai tout appris sur ce projet. Le réalisateur a été l’épaule sur laquelle j’ai pu reposer ma tête. Il a pris le temps de venir me voir et m’expliquer, sans pression.
Quand on te voit turbulent en classe ou à l’école, est-ce un rôle de composition ?
[Rires] Il faut comprendre que Fouad est à la base un garçon comme les autres. Certains se sont reconnus en lui. Moi aussi par moment, même si parfois il y a eu plus le comédien en action.




